Alors que les vendanges approchent, Robert Crüll, président de Swiss Wine Promotion et directeur de l’Office des vins vaudois, fait le bilan de santé du vin suisse.
Le vin suisse a-t-il la gueule de bois?
Non, même si nous devons défendre nos positions pied à pied. Environ 273 millions de litres sont bus chaque année en Suisse. Pour les blancs, la part des produits nationaux représente 60%, ce qui n’est pas mal. En revanche, du côté des rouges, les deux tiers de la consommation proviennent de l’étranger, France, Italie et Espagne en tête. Nous pouvons et devons faire mieux.
La menace de voir des vignes disparaître semble se préciser d’année en année.
Inéluctable?
La région du Bordelais vient de demander à Bruxelles l’autorisation d’arracher 60 000 hectares. La consommation en Suisse ne cesse de baisser: nous nous trouvions autrefois parmi les plus gros buveurs au monde, avec 40 litres par habitant et par an. On tourne désormais autour des 35 litres. Etant donné nos coûts élevés de production, nos volumes d’exportation ne représenteront jamais une énorme part de marché: il paraît donc clair qu’actuellement nos stocks ne peuvent être assainis. Mais c’est aux producteurs de prendre ce type de décision, pas à l’office de promotion que je représente.
Le vignoble s’adapte à l’évolution des goûts. Pourtant, on remarque des actions de déstockages massifs, notamment dans le chasselas.
Pas terrible pour l’image d’un produit haut de gamme, non?
Je comprends qu’il faut bien écouler la marchandise. Mais je pense que casser les prix nuit effectivement à l’image de marque. Dans l’absolu, il ne faudrait pas produire davantage que ce que l’on peut vendre. Mais ce n’est pas si simple et tout le monde cherche des solutions pragmatiques. En tant que président de Swiss Wine Promotion, ou dans le canton de Vaud à la tête de l’Office des vins, mon rôle consiste à fédérer les efforts et à maintenir une certaine image de qualité. Et je pense que l’on peut en faire avec du chasselas, qui fait toujours figure d’«or jaune» vaudois avec près de 70% de la production cantonale en volume. Certains prouvent qu’on peut le transformer en excellent vin de garde et qu’il s’intègre bien dans certains assemblages.
Le consommateur justifie souvent l’achat de crus étrangers par le prix trop élevé de la production helvétique. Une fausse vérité?
Il faut comparer ce qui peut l’être. Certains de nos vins gagnent des prix prestigieux et coûtent beaucoup moins cher que beaucoup de Bordeaux ou Bourgogne. Mais avec une surface viticole représentant 2 pour mille de la surface mondiale, il est clair que l’on ne pourra jamais sortir des litres à 2 euros! Et ce serait absurde de le vouloir. Encore une fois, notre seule chance réside dans le travail sur la qualité. Grâce à des chartes communes, à des procédures de production très strictes, à l’aide d’un savoir-faire ancestral mais aussi grâce à une belle diversification, nous n’avons aujourd’hui pas à rougir de la concurrence.
Avant 2004, des mesures protectionnistes assuraient à nos vignerons un marché libre de toute concurrence. Depuis, un contingent douanier a changé la donne. Notre pays est désormais le plus petit exportateur et le plus gros importateur.
Le milieu viti-vinicole était-il suffisamment préparé à ce raz-de-marée?
Il est toujours facile de refaire l’histoire après coup. Certains l’ont mieux anticipé que d’autres. On ne peut plus rester assis sur un mur de vigne et compter les voitures. Il faut que les professionnels se montrent dynamiques, qu’ils maîtrisent un nombre étonnant de professions, du chimiste au mécano, en passant par l’acheteur et le vendeur. Et nous sommes là pour les y aider.
L’importante crise du début d’année, qui a vu la déconfiture de Swiss Wine Communication (SWC) et la démission des président et vice-président de l’Interprofession du vin, est-elle de nature à leur donner confiance?
La mauvaise gestion de la SWC se trouve désormais sur le bureau des juges. Nous devons en tirer les conséquences, ne pas recommencer les mêmes erreurs. Nous n’avons pas encore toutes les réponses, mais déjà quelques pistes pour retrouver la confiance de l’Office fédéral de l’agriculture dont nous dépendons, ce qui est en bonne voie puisque nos budgets 2006 et 2007 ont été acceptés. Il convient aussi, c’est vrai, de convaincre à nouveau la branche que continuer la promotion des vins au niveau national reste vital.
Justement, qui doit s’en occuper? La Confédération, un office centralisé, les cantons ou chaque propriétaire dans son coin?
Tout producteur doit en être le premier ambassadeur. Pourtant je demeure convaincu qu’il faut travailler au niveau national; convaincre la population, la restauration, les entreprises que si notre pays est celui de l’horlogerie et du chocolat, il est aussi celui du vin!
Vous n’êtes pas né dans un tonneau et votre parcours professionnel se situe plutôt du côté du marketing et du commercial. Le vin est-il un produit comme un autre?
Je me considère un peu comme un aventurier du vin, aimant partir à la découverte des productions locales ici et à l’étranger. Le vin est une marchandise au même titre qu’une montre ou une voiture. Mais c’est un produit noble, qui doit être proposé avec tout le respect d’un savoir-faire millénaire.
Vous semblez accorder une importance toute particulière aux étiquettes et autre «packaging». Ne dit-on pourtant pas: peu importe le flacon?
Il est très important au contraire. D’abord parce que l’on achète aussi avec les yeux. Dans un rayon de 15 mètres de long sur 2,5 mètres de haut, l’étiquette permet de sortir du lot, d’attirer le regard. Par ailleurs, je considère effectivement la forme de la bouteille comme primordiale. En Bourgogne, dans le Bordelais, ils ont la même bouteille pour tous leurs crus. A Neuchâtel, la «neuchâteloise» suit le même chemin. C’est la voie à suivre, parce que notre succès passera par le développement de marques et qu’une forme de bouteille unique par région viticole, par exemple, y contribuerait.
Les villes romandes se parent actuellement d’affiches de sensibilisation contre le fléau de l’alcoolisme. Comment lutter contre la crise de la consommation sans passer pour un promoteur de l’ivresse?
Il faut parler du produit autrement, d’une consommation rimant avec plaisir et dégustation tout à fait compatible avec la santé publique.
Et avec la sécurité routière?
Nos craintes concernant l’introduction du 0,5 pour mille au volant étaient justifiées. Pour mémoire, durant les trois premiers mois, le chiffre d’affaires des restaurateurs – dont on sait combien ils comptent sur la vente des boissons – a baissé de 30 à 40%, pour se stabiliser ensuite à –20%. C’est tout de même loin d’être négligeable.
Propos recueillis par Pierre Léderrey
Migros Magazine
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