Les grands noms du champagne passent de main en main sans que les professionnels du secteur semblent s'en émouvoir. Cet été, en quelques semaines, pas moins de trois maisons phares ont changé de propriétaire ou annoncé leur intention de trouver un repreneur. Des mouvements qui suscitent rumeurs et convoitises, mais que les producteurs champenois affectent d'observer dans la sérénité, à la veille de vendanges qui s'annoncent fastes.
Le 4 juillet, Pernod Ricard officialisait le rachat du britannique Allied Domecq, numéro quatre mondial des spiritueux, dans l'escarcelle duquel se trouvait la maison Mumm, troisième marque mondiale.
Le 8 juillet, les actionnaires de Lanson International la famille Mora (56 %) et la Caisse nationale des caisses d'épargne (44 %) mettaient en vente le groupe, deuxième producteur de champagne, derrière le leader Moët-Hennessy (groupe LVMH).
Enfin, le 22 juillet, le groupe Taittinger dont la maison de champagne éponyme était repris par la société américaine d'investissement Starwood Capital.
L'histoire récente du champagne a été celle d'"une succession de concentrations, de déconcentrations et de reconcentrations, relativise Stephen Leroux, directeur du marketing chez Bollinger. Aujourd'hui, nous sommes plutôt dans la redistribution des cartes."
Les années 1990 avaient vu de grands groupes (Danone, GrandMet, Seagram...) se désengager du secteur. A en croire le microcosme champenois, le secteur vient simplement d'entrer dans un nouveau cycle de ventes et de rachats. Son équilibre économique et ses valeurs, eux, devraient rester saufs.
Le secteur a de quoi éveiller les appétits. En 2004, plus de 300 millions de bouteilles ont été vendues, dont près de 40 % à l'étranger.
Des chiffres proches du record de 1999 327 millions d'unités avaient été écoulées, à la veille du nouveau millénaire.
Pourtant, rares sont les opérateurs champenois qui redoutent une arrivée massive d'investisseurs étrangers au secteur. Ceux-ci "se rendent vite compte des exigences du métier" , souligne Yves Dumont, président du directoire du groupe Laurent-Perrier : aléas des vendanges et de la vinification, production artisanale, financement des stocks... "Dans le champagne, une taille trop importante entraîne plus de difficultés qu'elle ne présente d'avantages, souligne M. Dumont. Notre métier repose sur la finesse des assemblages, pas sur la mécanisation."
Aussitôt le rachat de Taittinger officialisé, Starwood Capital a d'ailleurs annoncé son intention de revendre l'activité champagne du groupe, à l'automne, la reprise par Starwood ne devant être effective qu'en septembre.
Immédiatement, les candidats potentiels à l'acquisition de la septième maison de Champagne ont envoyé des signaux plus ou moins explicites, envisagé des alliances, et jaugé leurs adversaires.
Le financier belge Albert Frère a été le premier à se découvrir, une semaine à peine après avoir vendu au fonds américain ses parts dans le groupe Taittinger. "Nous n'aurions aucune difficulté à former un tour de table prestigieux dans lequel -les membres de la famille- qui le souhaitent pourraient être partie prenante, et, pourquoi pas, la famille Peugeot" , déclarait-il, le 29 juillet, au Figaro .
L'homme d'affaires belge est déjà copropriétaire, avec Bernard Arnault (LVMH), du Château Cheval Blanc, l'un des plus grands crus du Bordelais. Et il a les moyens de ses ambitions : la force de frappe de sa compagnie nationale à portefeuille (CNP) est de "1 milliard d'euros cash" , alors que la valeur de Champagne Taittinger tournerait autour de 500 millions d'euros.
Autres candidats potentiels, dont les noms reviennent le plus souvent : la maison Louis Roederer, Pernod Ricard, LVMH ou encore le Crédit agricole, allié au fonds Eurazeo, et qui serait prêt lui aussi à faire une place aux Taittinger qui souhaitent rester dans la maison.
"Les opérateurs du secteur préféreraient que cette affaire reste en Champagne, pour des raisons d'équilibre d'où toute affectivité n'est pas exclue" , souligne Michel Janneau, directeur général adjoint de la maison Roederer. Taittinger possède 270 hectares de vignes et a réalisé 87 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2004, pour des marges réputées à deux chiffres.
Un attachement qui ne semble pas aussi prononcé à l'égard de Lanson International, dont la vente attendue a, en comparaison avec celle de Taittinger, été accueillie dans l'indifférence générale. D'autant que le groupe a accusé en 2004 une perte nette de près de 10 millions d'euros et que son prix de vente, annoncé à 700 millions d'euros par François-Xavier Mora, président de son directoire, semble largement surestimé aux yeux de nombre d'observateurs.
Yves Bénard, coprésident du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC), préfère se réjouir de "l'intérêt des investisseurs pour la région" . "Depuis quinze ans, les exemples de maisons ayant changé de main sont innombrables, sans qu'il y ait eu de véritables concentrations" , remarque-t-il. Pour preuve, les dix premiers groupes assuraient 84 % du chiffre d'affaires du secteur en 1990, contre 82 % en 2004, selon les chiffres du CIVC.
Benjamin Mallet - Le Monde
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