C'est un produit hybride, dont on a peine à croire qu'il existe. Une antithèse en bouteille : du vin sans alcool. Depuis une quinzaine d'années, au beau milieu des vignes du Languedoc, dans le département de l'Aude, une poignée de producteurs tentent de parfaire ce produit improbable, toujours méconnu du grand public. «Les gens continuent à confondre ça avec du jus de raisin», se plaint doucement une vendeuse. Mais ça n'est pas du jus de raisin. «On va pas dire que c'est du vin non plus», tempère un créateur. Alors, c'est quoi ? Et surtout, c'est bon ? Eclairage.
La fabrication
Le vin sans alcool ne titre en fait que 0,2 degré. «Il y a dans notre vin encore moins d'alcool que dans certains jus de fruits», annonce avec satisfaction Jean-Louis Escudier. L'homme travaille à l'institut national de recherche agronomique (Inra) dans l'Aude, où il dirige un domaine expérimental consacré aux transformations du raisin. Il est l'un des inventeurs du procédé. «On commence par produire un vin très correct en laissant le raisin mûrir longtemps, pour qu'il soit bien gorgé de sucre et qu'il se transforme en alcool. Ensuite, on le fait bouillir à basse température grâce à un processus de condensation, pour que l'alcool s'évapore.» Une fois le vin ainsi appauvri, ne reste qu'à le mettre en bouteille.
L'appellatio
Là, il a fallu ruser. Techniquement, impossible d'appeler «vin sans alcool» le produit fini. «Sinon, c'est direction le tribunal car en dessous d'un taux d'alcool de 9 degrés, c'est illégal d'appeler ça du vin», précise Patrice Girin, directeur marketing du groupe Uccoar. Cette coopérative vinicole de l'Aude est la première à s'être lancée dans la production de vin sans alcool, en partenariat avec l'Inra, il y a quinze ans. Aujourd'hui, via sa marque Bonne Nouvelle, elle domine ce marché minuscule. «Donc on a appelé ça "boisson à base de vin désalcoolisé". Sur nos bouteilles, il y a simplement écrit "rouge", "rosé", "blanc". Sans le mot "vin".»
Les raisons
A l'origine de la création du vin sans alcool : la crise viticole, et une tendance générale du consommateur à limiter sa consommation d'alcool. «Il nous faut diversifier la production. Cela fait longtemps qu'on cherche de nouveaux débouchés pour les produits du raisin.» Patrice Girin s'en souvient : «Au début, une frange des viticulteurs nous était hostile.» Le vin sans alcool, certains producteurs voyaient cela comme un sacrilège. «Mais plus la filière s'enfonce dans la crise, plus la désalcoolisation est acceptée. Et puis, les évolutions les plus pertinentes se font toujours en période de crise.» Selon l'Onivins (office national interprofessionnel des vins), il n'y aurait plus que 32 millions de buveurs de vin en France, un million de moins qu'il y a cinq ans.
La clientèle
Ce sont, en partie, des alcooliques repentis. «Ils veulent encore avoir une bouteille sur la table, pour la convivialité.» C'est donc un placebo bien plus qu'un achat plaisir. «Mais notre produit peut aussi intéresser les diabétiques, par son très faible taux en sucre, ou bien les femmes enceintes.» Ce marché-là semble abordable. Reste que pour l'instant, il n'est pas évident de se procurer un produit seulement disponible dans les très grandes surfaces. Cela n'empêche pas la marque Bonne Nouvelle d'annoncer des ventes proches du million et demi de bouteilles «sans alcool» par an, à 2,25 euros l'unité. Un chiffre crédible qui représenterait, sur le marché français, moins d'une bouteille vendue sur trois mille.
L'aspect, le goût
Pour l'heure, le bouchon en plastique qui se dévisse et l'étiquette type Villageoise brident quelque peu l'achat impulsif. «On voudrait s'élargir vers une autre clientèle. On va leur proposer un look plus attractif, une bouteille plaisir, plus agréable», prévient Patrice Girin. Bonne idée. Et pour le goût, il faudra aussi faire un effort. Quelques commentaires après dégustation collective : «Mais... C'est du jus de raisin» ; «ça n'a pas de goût» ; «c'est aqueux...» Chez Uccoar, on en est bien conscient. «Bien sûr, on perd toute cette chaleur en bouche que donne l'alcool. Au niveau du goût, il y a encore du travail.»
Par Gilles WALLON - Libération.
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